РАССКАЗ «Ночной разговор»

Conversation nocturne
Lettres russes
НОЧНОЙ РАЗГОВОР

Перевод на французский.
Опубликовано в парижском журнале «Русская литература» (Lettres russes) в 1999 г..

De ma vie je n’ai accepté de commandes, je peins comme ça, pour moi, comme je sais, comme je peux. On dit «le talent, le talent…», bien sûr, si on n’a pas de talent… mais il faut aussi savoir désirer, savoir oser. Autrefois, j’avais un peu de tout cela, mais, l’âge venant, les désirs tombent en déliquescence, quant à l’audace… même chez les grands elle ne se développe plus guère, que dire alors de ceux qui, comme moi, constituent le terreau sur lequel surgit parfois une pousse vivace… En ce moment l’époque ne stimule pas l’art, elle ne lui prête pas une oreille attentive et c’est à chacun de décider pour lui même s’il veut conti-nuer à œuvrer dans cette voie sur son île déserte. Nombreux sont ceux qui ont l’honnêteté de s’y refuser, d’autres se racontent des histoires, rendent les circonstances responsables de tout, quant aux troisièmes, ils s’obstinent à creuser. Je ne me mets pas au nombre de ces opiniâtres, il y a l’âge qui me laisse peu de forces, je ne peux plus veiller comme autrefois des nuits entières, un sommeil réparateur, voilà ce qu’il me faut, et mon sommeil est une coquille fragile…

Or, voici qu’on frappe à ma porte à quatre heures du matin! Il ne manquait plus que ça! Je n’irai pas! On frappe à nouveau doucement mais avec insistance comme si celui qui se tient derrière la porte était sûr de ma présence. Et en vérité, il est clair que je n’ai pas le choix. À contrecœur j’enfile un vêtement, je glisse mes pieds dans mes pantoufles et je vais à la porte d’un pas traînant.

— Qui est là?

À quoi, une voix assurée me répond:

— Je veux vous commander un tableau.

— La nuit?!

Je m’efforce de trouver les mots susceptibles d’exprimer l’indignation que requiert la circonstance, mais je ne ressens rien que de l’atonie et de l’irritation. Vient s’y mêler une once de curiosité. Qui peut bien avoir besoin de moi, la nuit, qu’est-ce que c’est que cette histoire de commande… il y a longtemps que tout le monde m’a oublié, je fais ma barbouille tout doucettement, en portant de temps à autre un tableau au marché à la brocante pour l’y vendre trois sous après quoi je file en vitesse acquérir quelques produits de luxe, du thé ou une douceur pour aller avec. On ne saurait se défaire des mauvaises habitudes et c’est la raison pour laquelle je n’ai rien mis de côté pour mes funérailles, de toutes façons, on m’enterrera bien d’une façon ou d’une autre, et ce qu’il adviendra de mon corps n’a vraiment pas une telle importance.

J’ouvre en grognant. Un blondinet de petite taille, maigriot, d’âge moyen, au visage inexpressif, vêtu d’une large cape qui lui tombe jusqu’aux pieds se tient sur le seuil. L’idée ne me serait jamais venue de faire le portrait d’un type de ce genre, par contre la cape, la cape… derrière les vitres l’aube pointe, une petite pluie grise fait frissonner le feuillage et la cape est couverte de gouttelettes aux couleurs de l’arc en ciel et puis il y a ce noir si particulier…

— Puis-je entrer?

Il se glisse prestement dans la chambre, embrasse d’un coup d’œil la poussière, le laisser-aller, les quelques œuvres de jeunesse qui pendent aux murs. Je lui désigne la seule et unique chaise tandis que je prends place sur la couchette à proximité de mes dessins: chemises poussiéreuses, calicot de mauvaise qualité, je me fais une place comme je peux, je n’ai nul besoin de cette commande, je veux juste écouter les belles promesses qu’il est venu me faire en pleine nuit, c’est trop bizarre. Il est là qui ne sort pas ses mains de ses poches profondes, petit bonhomme tout gris, insignifiant avec, en revanche, cette cape… qui, elle, semble vivante, scintille, ruisselle, dissimulant complètement la chaise.

— Nos conditions sont simples dit-il, nous ne vous imposons aucune limitation de sujet ou de style, représentez ce qui vous est le plus cher, ce qui a fait qu’un jour, vous vous êtes mis à tout ça. D’un geste large il désigne les murs où l’on distingue avec peine les carrés de la tapisserie fanée. Peu importe qu’il s’agisse d’un portrait, d’un paysage ou d’une nature morte, tout permet à l’artiste d’exprimer son moi.

Avec le temps, il émigré en totalité dans ses tableaux, n’est-il pas vrai?

Il émet une sorte de bruit qui ressemble à un rire poli. Il n’est pas sot mais étonnamment déplaisant. Il faudrait le mettre à la porte, mais voilà, il y a cette cape… dont je ne peux détacher le regard.

— À présent, passons à vos honoraires continue le blondinet en cape noire. Parlons franc, rien de ce que vous avez fait ne vous donne droit à l’éternité.

Je hausse les épaules. Le temps est bien passé où je m’indignais du toupet des ignorants, aujourd’hui, je m’en fiche.

— Personne n’en sait rien -, dis-je. — C’est sans doute le cas, mais je garde espoir en un certain nombre de tableaux.

— Certains, oui, acquiesce-t-il comme s’il avait entendu mes pensées, certains sont bons. Mais cela ne suffit pas, le monde est futile et oublieux, votre sincérité, votre humeur morose font partie des choses qui sont en train de disparaître dans le passé et quand leur temps reviendra il y aura des gens nouveaux, des tableaux…

Il a peut-être raison, mais nul n’est obligé, convenez-en, d’entendre un inconnu lui dire la vérité à quatre heures du matin.

— Je ne prends pas de commandes, dis-je sèchement dans l’espoir de le voir déguerpir, (je n’avais nul besoin de son argent, surtout après une pareille entrée en matière). De façon générale… — je me sur-prends à mentir de façon éhontée — voici longtemps que je ne peins plus: les yeux… et puis mes couleurs ont séché.

— Pas de problèmes pour les couleurs.

Dans un sourire, le blondinet me désigne de l’index quelque chose derrière son dos. Je regarde: d’où peut bien sortir ce guéridon aux pieds torses qui supporte une palette, des tubes de peinture — mes rouges et mes jaunes bien-aimés -, des pinceaux, une coupelle d’huile, un flacon de térébenthine… Qu’est ce que c’est que cette diable d’histoire?

Mon hôte sourit — «Vous ne me reconnaissez pas?»- en entrouvrant le pan de sa cape. Il n’y a rien, un vide privé de transparence avec derrière l’envers de l’étoffé, la chaise et une obscurité gluante presque sensible… On dirait qu’on est venu me prendre. En fin de compte, je m’y attendais.. Mais pas aujourd’hui, je comptais traîner un peu de temps encore. Il est clair que la commande n’est qu’un prétexte.

— Non, non — il se hâte de me calmer -, vous avez mal compris, le tableau est absolument nécessaire pour tirer le trait final, en signe d’accord, si vous voulez. Mais la chose va beaucoup plus loin, nous avons besoin de toutes vos œuvres. À bien y regarder, vous êtes déjà presque entièrement passé dans vos ta-bleaux, vous vous y êtes exprimé, vous avez dit tout ce que vous aviez à dire, où est votre âme à présent? Oui, c’est exactement cela! En faisant l’acquisition de vos tableaux nous aurons tout ce dont notre fond a besoin pour l’éternité.

— Mais cela équivaut à la destruction…

— Vous n’y êtes pas. C’est tout le contraire. Nous ferons en sorte que vos tableaux se trouvent dans les meilleurs musées, nous vous garantissons leur conservation. Ne comptez pas sur l’éternité, vous ne l’avez pas méritée, mais un millier d’années, pourquoi pas? Ça n’est pas rien. Quand vous disparaîtrez, votre âme demeurera dans vos tableaux et deviendra notre propriété. Nous la prendrons en même temps que votre nom. Sous les tableaux apparaîtront les lettres A.I.: Artiste inconnu. Tout le monde vous oubliera sur l’heure. Ça, nous savons le faire. Tant que vous êtes en vie, disposez de votre bien, vous avez le droit de vendre, il faut bien vivre, nous le comprenons. Après, vous aurez une garantie presqu’éternelle en ce qui concerne les tableaux, quant au nom… Quel besoin en avez-vous si les tableaux vivent et exercent leur influence sur les âmes? Ce qui demeure à tout jamais une énigme attire. Vous devez en avoir vu des A.I. dans les musées. Beaucoup nous appartiennent.

Il se lève, fait quelques pas, s’arrête devant l’un des tableaux.

Voici qui confirme la justesse de notre approche, regardez, ici vous êtes beaucoup plus profond que dans la vie. C’est un phénomène étonnant…

— Et si on déchiffre le style, qu’on reconnaisse l’auteur, que la chose soit démontrée?

— Ça peut arriver mais pas à nos auteurs. Leurs tableaux resteront à tout jamais anonymes. Nous recherchons tout ce qu’ils ont produit, y compris les esquisses et les feuilles déchirées, et y apposons A.I. Ces lettres ne sont pas de celles qui disparaissent, croyez le bien.

Il marche et la cape traîne derrière lui, balayant la poussière tout en demeurant propre et fraîche, les paillettes d’humidité ont séché pour laisser place à un noir absolu. Je l’imagine jetée sur le dossier de la chaise avec la nécessité absolue de sa spontanéité, son caractère fortuitement inéluctable, ses plis pro-fonds et doux se détachant sur la tapisserie fanée, la mauvaise étoffe ocre rouge qui recouvre le siège… et si on ajoute à cela une bouteille en verre vert foncé, je sais que j’en ai une, où donc est-elle?… je suis sûr de l’avoir… il faudrait encore un plat ancien avec des fleurs jaunes pour équilibrer la verticale du goulot. Et cette richesse de tons noirs par derrière… le plat est quelque part dans un coin…

— Laissez-moi votre cape, ne serait-ce que pour une petite heure!

Il s’arrête, ébahi:

— Pourquoi? Impossible, je suis en service commandé, et c’est un détail indispensable. Et peut-on savoir ce que vous comptez en faire?

— La peindre, tiens!

Étonné:

— Je pensais que dans ce tableau il devait y avoir la quintessence de votre moi le plus intime, de ce que vous n’aviez pas encore exprimé, un dernier battement d’ailes pour ainsi dire…

— C’est de ce noir que j’ai manqué toute ma vie!

Il me regarde et après un long silence dit avec un étonnement mêlé d’une sorte de tristesse:

— Vous êtes de drôles de types, vous, les peintres. Il y a une centaine d’années je suis allé voir un Hollandais. Sur l’heure, si vous le désirez! me dit-il. Je reviens la nuit suivante pour les formalités d’usage, la paperasse, eh bien, figurez-vous qu’il avait eu le temps de changer d’avis et de s’envoyer une balle dans le ventre. Eh oui, lui, son nom est resté. Les tableaux, par contre, sont tout craquelés, ça fait peine à voir! Et moi qui lui garantissais la fraîcheur éternelle, il faut dire que c’était autre chose que vous, pardonnez-moi.

— Que décidez-vous pour la cape?

— Non, non, je vois que vous n’êtes pas prêt, réfléchissez jusqu’à demain, je viendrai encore frapper à votre porte.

— Mais pas à quatre heures du matin s’il vous plaît, c’est juste le moment où je commence à m’assou-pir…

— Je serai là à minuit. Vous, réfléchissez bien. Même si on a pu dire que les manuscrits ne brûlaient pas… c’est une absurdité, croyez-m’en.

Et cette fois sans égards pour les conventions terrestres, il se dissout dans l’air. Je suis seul, j’ai froid, je suis recroquevillé sur le coin de ma couchette, au diable le sommeil, l’aube est déjà là. Il a disparu en laissant la palette, les couleurs, une dizaine de pinceaux de premier ordre, en poil de martre. Et moi qui n’ai jamais peint qu’avec des soies de porc. Qu’a-t-il besoin de cette cape?… Un millier d’années… la moitié me suffirait, oui. Pas à moi, aux tableaux. Il est probable que je ne reverrai pas la cape, il va arriver en guenilles, ce comédien de malheur! Et si j’essayais de mémoire, comme au bon vieux temps. Il a laissé trois tubes de différents noirs, leur boîte n’est pas avare de couleurs sombres. Aux prix d’aujourd’hui! Et il a également laissé une toile, le bougre! Mieux vaut ne pas y toucher pour ne pas avoir l’air de donner mon accord, sinon il va me coller aux chausses ce maître chanteur et je pourrai dire adieu à mon âme. Pourquoi la veut-il? Cinq cents ans, ce n’est pas mal du tout… mais n’oublions pas que c’est en échange de A.I. D’un autre côté il garantit la conservation, par les temps qui courent, alors que les livres même on est en train de les oublier et compte tenu de ce que, là, en plus, il s’agit d’un exemplaire unique sur un support fragile, ça tient du miracle! En revanche, pour moi, c’est l’île déserte. Réfléchis, réfléchis donc. A.I… Et si c’était un rêve? Non, j’ai trop sommeil. De mémoire, c’est difficile, il y a long-temps que je n’ai rien fait de sérieux, des barbouillages, comme ça, pour me faire plaisir… Tu parles d’un type important qui s’accroche à sa cape! Et qu’est ce qu’il a bien pu trouver dans les tableaux, quelle âme? Le désir et le goût d’oser, je les avais, seulement actuellement, les temps ne s’y prêtent guère, pour ça non. Il est vrai qu’on a dit ça à toutes les époques. Diable de cape, je l’ai dans les yeux! Je vais refuser, c’est sûr, sûr, l’anonymat, non mais, ils en ont du culot! Je n’ai jamais accepté de commandes de toute ma vie, je peignais pour moi-même, pour mon âme. Et l’autre qui veut me l’échanger contre son A.I.! C’en est trop! Je vais juste presser un tout petit peu de peinture rouge, ils sont trop beaux, ces tubes… De l’orange… Non, toute discussion est exclue, je ne le laisserai même pas entrer! On dit que Cézanne, l’heureux homme, n’avait pas moins de six jaunes… Et voilà que moi aussi, c’est mon jour de chance. Deux verts. c’est ce qu’il me faut, je n’en prends jamais plus. Comment le sait-il? Pas besoin de bleu, je ne supporte pas le froid. Mais celui-là, c’est purement et simplement un miracle! Il fait penser à Poussin. Le blanc est un poison pour la peinture, surtout quand on en est aux premières couches, j’en prendrai un soupçon… Les noirs à présent… Je vais juste essayer, pourquoi ne pas essayer après tout…

ЗАТМЕНИЕ (из романа Вис Виталис)

Именно в тот самый день… Это потом мы говорим «именно», а тогда был обычный день — до пяти, а дальше затмение. На солнце, якобы, ляжет тень луны, такая плотная, что ни единого лучика не пропустит. «Вранье, » — говорила женщина, продавшая Аркадию картошку. Она уже не верила в крокодила, который солнце проглотил, но поверить в тень не могла. Да и как тогда объяснишь ветерок смятения и ужаса, который проносится над затихшим пейзажем, и пойми, попробуй, почему звери, знающие ночь, не находят себе места, деревья недовольно трясут лохматыми головами, вода в реке грозит выплеснуться на берег… я уж не говорю о морях и океанах, которые слишком далеко от нас.
Утром этого дня Марк зашел к Шульцу. У того дверь и окна очерчены мелом, помечены киноварью и суриком, по углам перья, птичьи лапы, черепки, на столах старинные манометры и ареометры, сами что-то пишут, чертят… Маэстро, в глубоком кресле, обитом черной кожей, с пуговками, превратился в совершеннейший скелет. В комнате нет многих предметов, знакомых Марку — часов с мигающим котом, гравюры с чертями работы эстонского мастера, статуэтки Вольтера с вечной ухмылкой, большой чугунной чернильницы, которую, сплетничали, сам Лютер подарил Шульцу…
— Самое дорогое — уже там… — Шульц показал усталым пальцем на небо, — и мне пора.
Как можно погрузиться в такой мрак, — подумал Марк.
— Сплошной бред, — он говорит Аркадию, пережевывая пшенную кашу, — Шульцу наплевать, как на самом деле.
— На самом деле?.. — Аркадий усмехается. — Что это значит? Представьте, человеку наврали, что у него рак, он взял да помер…
— Аркадий… — Марку плохо спалось ночью, снова мать со своим неизменным — «ты чем занимаешься?..» — Аркадий Львович, не мне вам объяснять: мы делим мир на то, что есть или может быть, поскольку не противоречит законам… и другое, что презирает закон и логику. Надо выбирать, на какой вы стороне.
И тут же подумал — «лицемер, не живешь ни там, ни здесь».
Наступило пять часов. У Аркадия не просто стеклышко, а телескоп с дымчатым фильтром. Они устроились у окна, навели трубу на бешеное пламя, ограниченное сферой, тоже колдовство, шутил Аркадий, не понимающий квантовых основ. Мысли лезли в голову Марку дурные, беспорядочные, он был возбужден, чего-то ждал, с ним давно такого не было.
Началось. Тень в точный час и миг оказалась на месте, пошла наползать, стало страшно: вроде бы маленькое пятнышко надвигается на небольшой кружок, но чувствуется — они велики, а мы, хотя можем пальцем прикрыть, чтобы не видеть — малы, малы…
Как солнце ни лохматилось, ни упиралось — вставало на дыбы, извергало пламя — суровая тень побеждала. Сначала чуть потускнело в воздухе, поскучнело; первым потерпел поражение цвет, света еще хватало… Неестественно быстро сгустились сумерки… Но и это еще что… Подумаешь, невидаль… Когда же остался узкий серпик, подобие молодой луны, но бесконечно старый и усталый, то возникло недоумение — разве такое возможно? Что за, скажите на милость, игра? Мы не игрушки, чтобы с нами так шутить — включим, выключим… Такие события нас не устраивают, мы света хотим!..
Наконец, слабый лучик исчез, на месте огня засветился едва заметный обруч, вот и он погас, земля в замешательстве остановилась.
— Смотрите, — Аркадий снова прильнул к трубе, предложив Марку боковую трубку. Тот ощупью нашел ее, глянул — на месте солнца что-то было, дыра или выпуклость на ровной тверди.
— Сколько еще? — хрипло спросил Марк.
— Минута.
Вдруг не появится… Его охватил темный ужас, в начальный момент деланный, а дальше вышел из повиновения, затопил берега. Знание, что солнце появится, жило в нем само по себе, и страх — сам по себе, разрастался как вампир в темном подъезде.
«Я знаю, — он думал, — это луна. Всего лишь тень, бесплотное подобие. Однако поражает театральность зрелища, как будто спектакль… или показательная казнь, для устрашения?.. Знание не помогает — я боюсь. Что-то вне меня оказалось огромно, ужасно, поражает решительностью действий, неуклонностью… как бы ни хотел, отменить не могу, как, к примеру, могу признать недействительным сон — и забыть его, оставшись в дневной жизни. Теперь меня вытесняют из этой, дневной, говорят, вы не главный здесь, хотим — и лишим вас света…
Тут с неожиданной стороны вспыхнул лучик, первая надежда, что все только шутка или репетиция сил. Дальше было спокойно и не интересно. Аркадий доглядел, а Марк уже сидел в углу и молчал. Он думал.
— Гениально придумано, — рассуждал Аркадий, дожевывая омлет, — как бы специально для нас событие, а на деле что?.. Сколько времени она, луна, бродила в пустоте, не попадая на нашу линию — туда- сюда?.. Получается, события-то никакого, вернее, всегда пожалуйста… если можешь выбрать место. А мы, из кресел, привинченных к полу, — глазеем… Сшибка нескольких случайностей, и случайные зрители, застигнутые явлением.
— Это ужасно, — с горечью сказал Марк. — Как отличить случайность от выбора? Жизнь кажется хаосом, игрой посторонних для меня сил. В науке все-таки своя линия имеется.
— За определенность плати ограниченностью.
Марк не стал спорить, сомнения давно одолевали его. — Что теперь будет с Глебом? — он решил сменить тему. Интриги одолели академика.
— Думаю, упадет в очередной раз, в санаторной глуши соберется с мыслями, силами, придумает план, явится — и победит.
— А если случай вмешается?
— В каждой игре свой риск.
— Я не люблю игры, — высокомерно сказал Марк.
— Не слишком ли вы серьезны, это равносильно фронту без тыла.
Их болтовня была прервана реальным событием — сгорел телевизор. Как раз выступал политик, про которого говорили -» что он сегодня против себя выкинет?..» И он, действительно, преподнес пилюлю: лицо налилось кровью, стал косноязычен, как предыдущий паралитик, и вдруг затараторил дискантом.
— Сейчас его удар хватит, — предположил Марк, плохо понимающий коварство техники. Аркадий же, почуяв недоброе, схватил отвертку и приступил к механическим потрохам, раскинутым на полочке рядом с обнаженной трубкой. «Ах, ты, падла…» — бормотал старик, лихорадочно подкручивая многочисленные винты… Изображение приобрело малиновый оттенок, налитые кровью уши не предвещали ничего хорошего, затем оратор побледнел и растаял в дымке. Экран наполнился белым пламенем, глухо загудело, треснуло, зазвенело — и наступила темнота.
— Всему приходит конец, — изрек Аркадий очередную банальность. — Зато теперь я спокойно объясню вам, как опасно быть серьезным.

из «Перебежчика»

Когда ухожу…

Я долго вожусь со всеми, чтобы не бежали за мной. Некоторые доходят до нашей границы, постоят, глядя мне вслед, и поворачивают обратно. И то опасно, потому что люди и собаки очень злы. Недавно я увидел, как стая собак преследует серого, лохматого как старый валенок, кота из девятого дома. Когда я подбежал, он лежал на боку в беспомощной позе, закатив глаза. Дернулся, и затих… Я отогнал собак. Среди них была сучка, черная вертлявая собачонка из восьмого, а всей бандой верховодил очень милый рыжий, как лисичка, песик, он-то и организовал натиск на «валенка». Собравшись вместе, они, конечно, выпендривались перед сучкой, к тому же в их компанию затесался явный проходимец — странного вида барбос, помесь фокса с таксой, со злыми белесыми глазками. Я как-то уже видел его в деле — вцепится, не отпустит… Но через день я с изумлением обнаружил у девятого того самого «валенка», совершенно живого, он отлично ладил с красивой кошкой из детского сада, я ее знаю. Может двойник? Не слыхал про двойников среди котов, это невероятно, настолько они разные… Но тела «валенка» я не нашел, хотя тщательно обыскал место сражения, не было даже следов крови! Странно, обычно их тела лежат и разлагаются, ведь эти коты ничьи, живут сами по себе, как могут. Им трудно выжить, только выдающиеся личности доживают до старости. Как не устать от жизни, когда нет спокойного пристанища, никогда не знаешь, что перепадет поесть, не затопят ли подвал, не закроют ли все окошки и щели, не возьмутся ли травить крыс страшным ядом или разбросают ядовитые приманки, такие приятные на вкус… или прибегут мальчишки с луками и пистолетами, стреляющими очень больно, или наш старичок возьмется гонять палкой, или поймают недоделанные дети, привяжут, начнут медленно жечь и резать на части… Или какая-нибудь исполкомовская сволочь, объявит всех котов распространителями болезней, будут ловить и убивать…
Я думаю, кот притворился мертвым, чтобы эти шакалы отстали от него. «Валенок» сыграл в мертвеца, опытный хитрец, а Шурик не умел, эти шавки поймали его и придушили. За день до смерти он сидел рядом со мной, сияющий, важный, пушистый, смотрел доверчивыми оранжевыми глазами. Его облизывала мать, Алиса, а он только поворачивал голову, чтобы достала со всех сторон. А потом начал отчаянно отвечать ей тем же, лизать и лизать, и все мимо, и только мелькал его яркий малиновый язычок. А с другой стороны сидела его сестра Люська и лизала ему пушистый бок…
Когда я ухожу, то стремлюсь оставить их дома, а то хлопот не оберешься, будут бежать и бежать за мной, или, как Хрюша, страшно кричать, глядя вслед отчаянными глазами… И сегодня я запихал обратно Клауса, который ухитрился-таки выскочить в коридор, но через него, воспользовавшись сумятицей, перепрыгнул Макс и устремился вниз. Стив первым ушел через балкон, но уже успел проникнуть обратно в дом, сидел перед соседской дверью и делал вид, что я не существую. Он теперь надеялся на богатого соседа, который может пнуть, а может, под настроение, выдать кусок копченой колбасы. Я не стал его уговаривать, и тоже сделал вид, что никогда не видел. Пусть живет, как хочет, все равно не переубедишь. А Макса выпускать нельзя, он нервный и слегка того… плохо знает дом, будет до утра толкаться по лестницам, и кто-нибудь обязательно даст ему по башке. Она у него крепкая, но в третий раз может не выдержать. И вот я скачу за ним, приманиваю, умоляю выглянуть из-под лестницы, а он не спешит, смотрит из темноты бараньими глазами… Наконец удалось, хватаю его и тащу наверх. Но пока просовываю в щель, через нас прыгает Люська, которой уж вовсе это незачем — она развлекается. Но и ее оставлять на лестнице опасно, я долго упрашиваю ее сдаться, а она, задравши гордо хвост, дразнит меня, шельма, потом милостиво дает себя поймать. Хорошо хоть, что Алиса в стороне от этого безобразия — сидит в передней и молчит, глаза в туманной дымке. Она различает в сумраке только силуэты, и узнает меня по голосу, звуку шагов и запаху. Она играть в побегушки не намерена, устала и хочет поспать в тишине.
Так вот, когда я ухожу, то хватаю их и прячу в надежные места. А они считают, что идет игра, непонятность ее правил раздражает их. Не умеют предвидеть опасности, счастливые существа. А я, трясущийся от страха комок жизни, предчувствую и представляю наперед, и что? Это спасает меня, дает преимущество перед ними? Отнюдь! Наоборот! Они еще снисходительны, я им надоедаю своими страхами. Клаус при этом никогда не кусает меня и не царапает, сидит на руках, сопит и не вырывается — «все равно убегу…» Хрюша может куснуть или ударить лапой, но не всерьез — «отстань!» А Стив только замахивается , но зато страшно шипит и рычит, особенно, когда я советую ему не сидеть перед чужими дверями и не клянчить интересную еду… Все, как ни поели, обязательно копаются в помойках. Раньше я возмущался этим, а теперь радуюсь за своих друзей.
Как-то уходя, пытаясь избавиться от Клауса, я затолкал его в подвал и плотно прикрыл дверь. Когда я обошел дом, то он уже сидел и ждал меня — выпрыгнул из окошка с другой стороны. Уйти от него невозможно, он плетется за тобой, ему страшно, кругом все чужое — поля или дома, незнакомые коты, злобные собаки… он понимает, что мне не спасти его, если начнется гонка, надо будет полагаться на себя… И все равно идет и идет. И попадается, конечно. Потом, отогнав от дерева собак, уговариваю его — «все спокойно, слезай…» а он долго не верит, подозрительно оглядывая сверху местность… Потом мастерски слезает — задом, не глядя вниз, что дается котам трудно. И я, недовольно ворча, провожаю его обратно, а он ворчит, если я иду слишком быстро.
Но сегодня он дома, пусть покрутится там, найдет пару крошек, а меня и след простыл.
Кончается день двенадцатого, ртуть топчется около нуля. Я жду зимы — скорей начнется, скорей пройдет. И боюсь — ведь каждый день спасаться от холода, темноты, людей, собак, машин… Когда я думаю об этом, то уже не знаю, человек я или кот. Смотрю на мир, как они. Белая пустыня поднимается, закрывает полмира, темное небо наваливается на землю. Горизонт скрывает все, что видят люди. Зато окошко под домом становится большим, близким и манящим, я чувствую исходящие оттуда теплые токи; темнота подвала не страшна, наоборот, мне хочется раствориться в ней, уйти туда вместе с котами. Небольшое усилие, внутреннее движение, жест или особое слово, сказанное вполголоса — и мир покатится в другую сторону… Я устал от выдуманной жизни. Хочу видеть мир, как коты. Чтобы простые вещи всегда были интересны мне. Чтобы трава была просто травой, земля землей, и небо — небом. И все это ничего больше не обозначало, а только жило и было. Чтобы я не рассуждал, а чувствовал. Чтобы жил мгновением, а не завтрашним днем, тем более, послезавтрашним. Чтобы не знал всей этой подлости и грязи, в которой купаемся. Чтобы не боялся смерти, ничего не знал про нее, пока не тронет за плечо… А если короче — мне скучно стало жить человеком, несимпатично, неуютно. И, главное, — стыдно. Но об этом еще придется говорить.